Monsieur le Président: Halte à la théorie de l’inertie stratégique

Permettez-moi de vous raconter, Monsieur le Président. Après deux ans passés dans un poste de direction au sein de notre chère administration, j’ai appris à reconnaître les subtilités d’un système parfaitement rodé pour neutraliser les réformes. Et aujourd’hui, je vois bien que vous êtes en train d’affronter ce monstre silencieux.

Vous savez, ici, on ne dit jamais “non” à un projet de changement. Ce serait trop direct, trop risqué. À la place, on vous donne raison. On hoche la tête, on applaudit même parfois, et on vous promet que tout sera fait. Mais c’est justement là que la machine s’emballe. Ou plutôt, qu’elle se met à tourner sur place.
Dans ces cercles, la vraie arme, ce n’est pas l’opposition, mais le temps. On laisse les projets s’embourber dans les méandres de l’administration. On ajoute des comités, des rapports, des réunions à rallonge, des allers-retours sans fin. Vous annoncez une réforme pleine d’espoir, et quelques mois plus tard, vous vous retrouvez face à des tableaux Excel qui semblent tout droit sortis d’une autre dimension.

Nos fonctionnaires, Mr le Président, sommes des êtres fascinants. Ils ont élevé l’art de l’immobilisme au rang de science. Quand ils veulent ralentir une initiative, ils n’ont pas besoin de s’y opposer frontalement. Ils vous laissent avancer. Mieux encore, ils vous encouragent à avancer. Mais pendant ce temps, ils dressent des barrières invisibles. Des procédures infinies, des responsabilités diluées, des décisions qui passent d’un bureau à un autre, jusqu’à ce que plus personne ne sache exactement où en est le projet.

Et vous, vous êtes là, au cœur de cette danse absurde. Vous pensez mener la cadence, mais en réalité, c’est l’administration qui vous mène. Vous exigez des résultats, et on vous livre des promesses. Vous réclamez des actions, et on vous renvoie des rapports. Vous posez des délais, et on vous répond par des “nous travaillons dessus”.

Après deux ans à observer ce ballet, je comprends mieux ce que Michel Crozier appelait “les zones d’incertitude”. Ici, personne ne dit qu’il ne veut pas faire. Tout le monde dit qu’il manque juste une signature, un document, un éclaircissement.

Ils savent que vous finirez par passer à autre chose, que vous vous découragerez face à ces obstacles invisibles mais bien réels. Et eux, toujours immobiles, stoïques, seront là, inébranlables, comme si rien ne s’était passé.

Voilà, Monsieur le Président, ce qu’on appelle la théorie de l’inertie stratégique. Un système où tout bouge en apparence, mais où rien n’avance réellement. Une chorégraphie où chaque acteur sait jouer son rôle pour freiner sans freiner, ralentir sans s’arrêter.

Pour eux la question n’est pas de savoir si vous êtes un leader visionnaire. La vraie question est de savoir combien de temps vous tiendrez dans cette guerre silencieuse.

PS: toute ressemblance a une personne ou une organisation n’est que pure coïncidence.

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