Surtaxation des wallets au Sénégal : levier ou frein à la bancarisation et à l’inclusion financière ?

Après lecture du Plan de redressement proposé par Ousmane Sonko et de sa mesure visant à surtaxer les transactions via wallets mobiles, l’analyse économique impose de dépasser la seule logique fiscale pour comprendre l’architecture de paiement sous-jacente, le rôle de la BCEAO, le poids de la diaspora et le potentiel d’un réseau interopérable à la manière d’Interac au Canada. Au Canada, Interac fonctionne comme un rail national de paiement intégré au système bancaire, permettant des transferts compte-à-compte quasi instantanés grâce à un switch central, un annuaire alias-compte, des normes ISO-20022 et un règlement interbancaire final et sécurisé. Les dépôts circulent dans un espace régulé, alimentant directement le crédit, l’investissement et la traçabilité fiscale. Dans l’UEMOA, les wallets mobiles — opérés par fintechs ou opérateurs télécoms — restent largement cloisonnés, bien que la BCEAO ait déjà franchi un cap majeur en mettant en place le Système de Paiements Instantanés de l’UEMOA (SPI) et en rendant techniquement possible l’interopérabilité entre émetteurs de monnaie électronique et banques. Ce socle technique existe, avec un règlement en temps réel, un routage standardisé et un cadre réglementaire pour connecter l’ensemble des acteurs. Ce qui manque, c’est la montée en charge commerciale, la fluidité d’expérience utilisateur, l’intégration marchande et l’incitation économique à basculer du cash et des wallets fermés vers des comptes bancaires digitaux.

C’est dans ce contexte qu’une surtaxe sur les transactions wallets pourrait agir comme signal-prix, mais avec des effets dépendant fortement de l’élasticité comportementale. En simulant une taxe de 0,5 % sur un volume mensuel de 100 milliards FCFA, avec une élasticité prix-migration de 0,35 et un taux de migration vers les comptes bancaires de 60 %, on obtient une contraction des flux wallets de 175 millions FCFA/mois, dont 105 millions migreraient vers les rails bancaires. À dépense moyenne par nouveau client bancaire de 75 000 FCFA/mois, cela équivaut à environ 1 400 nouveaux comptes (+0,008 point de bancarisation). Si la dépense moyenne chute à 5 000 FCFA/mois, on atteint 21 000 nouveaux comptes (+0,12 point de bancarisation). Ces ordres de grandeur confirment que la taxe seule, sans infrastructure d’accueil et incitations, ne produira qu’un gain marginal.

Or, la réflexion serait incomplète sans intégrer la diaspora sénégalaise, qui transfère plus de 2 000 milliards FCFA par an, soit près de 10 % du PIB. Ces flux, aujourd’hui largement captés par les opérateurs de transfert internationaux et souvent retirés immédiatement en cash, pourraient devenir un puissant moteur de bancarisation et de financement s’ils étaient acheminés via un rail interopérable national, relié aux comptes bancaires digitaux et au SPI. Dans ce schéma, la création d’une Banque de la Diaspora — établissement agréé, digital-native, adossé à la BCEAO, interconnecté au SPI et proposant des comptes en FCFA et en devises — permettrait de canaliser ces remises directement vers l’épargne nationale, les obligations d’État ou le financement productif, tout en réduisant la dépendance aux circuits coûteux de Western Union et MoneyGram.

Encadré chiffré : Simulation Banque de la Diaspora

  • Montant annuel des transferts diaspora : 2 000 milliards FCFA
  • Hypothèse de rétention domestique initiale : 25 % (dépôts conservés dans le système bancaire)
  • Dépôts captés : 500 milliards FCFA/an
  • Effet sur le taux de bancarisation : +3 points (passage par ouverture de comptes destinataires)
  • Effet de levier bancaire (coefficient de transformation 1,5) : 750 milliards FCFA de financement potentiel pour l’économie
  • Effet PIB : si 50 % du crédit additionnel finance des investissements productifs avec un multiplicateur de 1,3, l’impact est d’environ +0,5 point de PIB par an
  • Réduction des frais de transfert : économie potentielle de 60 à 80 milliards FCFA/an pour les ménages (baisse moyenne des coûts de 4 % sur les montants)
  • Impact fiscal indirect : élargissement de l’assiette TVA et IR via la formalisation, estimé à 15 milliards FCFA/an

Pour maximiser cet effet, la surtaxe sur les wallets devrait être adossée à un triptyque : 1) accélération de l’intégration opérationnelle au SPI pour tous les acteurs, 2) lancement de comptes digitaux gratuits ou subventionnés pour les primo-bancarisés et la diaspora, 3) politique d’incitation aux marchands et aux collectivités pour accepter les paiements électroniques, avec plafonnement transitoire des frais interbancaires. La BCEAO ayant déjà posé les fondations techniques avec l’interopérabilité, le succès dépend désormais de la gouvernance, de la tarification régulée, de la transparence et de la capacité à articuler fiscalité, infrastructure et inclusion. Utilisée dans ce cadre élargi, la surtaxe pourrait catalyser une transformation structurelle de l’écosystème de paiement sénégalais, reproduisant partiellement l’effet Interac et ajoutant une dimension diasporique stratégique : un réseau universel, régulé, sécurisé et inclusif, capable de drainer l’épargne expatriée vers le financement domestique, de renforcer la bancarisation et de consolider la souveraineté monétaire dans l’espace BCEAO.

Mohamadou Manel Fall

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